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Billet novembre 2020

L’acceptabilité de la viande in vitro : approche psycho-expérimentale


Les mémoires des étudiants à la maîtrise en sciences de la consommation s’intéressent à une multitude de sujets qui touchent le consommateur. À titre d’exemples, certains étudiants ont exploré :

  • Les processus de choix des consommateurs intermittents d’aliments biologiques;
  • La prévention de l’abus financier chez les aînés;
  • L’influence de la recherche d’information sur Internet sur le risque perçu face à l’achat d’une voiture d’occasion;
  • Les antécédents de la pardonnabilité du consommateur face à un scandale écologique;
  • L’efficacité des campagnes éco-persuasives;
  • Les motivations à consommer des bières de microbrasserie;
  • Le lien entre la qualité de la diète et la perception de la qualité de l’offre alimentaire.

Ce mois-ci, nous souhaitons mettre en lumière le projet de recherche portant sur l’acceptabilité de la viande in vitro de Sylvain Djatio Tchoupou.

Bonne lecture !


Seriez-vous prêts à consommer de la viande cultivée en laboratoire dès 2021?

Selon les prévisions de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), d’ici 2050 la terre comptera environ 9.7 milliards d’habitants. Pour satisfaire à la demande, il faudra augmenter l’offre alimentaire mondiale actuelle de 70%. Or, la consommation de viande a longtemps été un élément important de nos habitudes alimentaires, jusqu’à ce que sa notoriété soit affaiblie par les conséquences négatives qui lui sont associées, notamment les risques sanitaires (ex. cancer colorectal), environnementaux (ex. émission d’ammoniac, CO2 et de méthane, gaspillage en eau) ou encore la détérioration du bien-être animal (Alexandre Shields, 2019; FAO, 2019; Gregory Härtl, 2015; OMS, 2002; Springmann et al., 2018). Pour contourner ces obstacles, la viande cultivée en laboratoire (ou viande in vitro) est présentée comme une alternative durable.

Elle est obtenue à travers un processus par lequel des tissus musculaires d'animaux sont cultivés en laboratoire, en utilisant des techniques d'ingénierie tissulaire, pour fabriquer de la viande et des produits carnés, ce qui annule la nécessité de tuer des animaux (Arshad et al., 2017). Des tissus musculaires sont prélevés de l’animal vivant et sont mis en culture dans un milieu approprié qui fournira des nutriments, des hormones et des facteurs de croissance nécessaire à leur multiplication jusqu’à obtention de myotubes, puis de morceaux de chair (Chriki & Hocquette, 2020).

Selon le cabinet de conseil A.T. Kearney (2019), la part de la viande cultivée dans la consommation totale de viande en 2040 est estimée à 35 %. Le think tank RethinkX, quant à lui, affirme que l'agriculture cellulaire remplacera 70 % du marché de la viande dès 2030, d’où l’intérêt grandissant des géants de l’alimentation mondiale comme l'américain Tyson Food ou l'Européen Bell Food Group. Néanmoins, les bienfaits de la production et de la consommation de viande in vitro ne font pas l’unanimité, et sont battus en brèche par les adeptes des alternatives végétales. Par exemple, le sérum fœtal (provenant de veau mort) est encore indispensable dans la production de viande in vitro, ce qui peut être répugnant pour les consommateurs.

De plus, la production de viande in vitro rejette moins de méthane, mais plus de CO2, qui est beaucoup plus nocif pour l’environnement à long terme (Lynch & Pierrehumbert, 2019). Aussi, le coût de production de la viande in vitro est encore exorbitant, notamment à cause du sérum fœtal. La première galette de Burger de bœuf de culture (150 grammes), créée par le Dr Mark Post à L'Université de Maastricht, a été consommée lors d'une manifestation pour la presse à Londres en août 2013 (M. Post, 2014). Ce hamburger a coûté plus de 300 000 $ pour être fabriqué et a mis plus de 2 ans pour être produit (KLOPP, 2013). Des recherches sont actuellement menées pour réduire ces coûts en trouvant des alternatives végétales au sérum fœtal (Chriki & Hocquette, 2020). D’un point de vue sanitaire, la viande in vitro semble être un aliment ultra transformé, et de ce fait, sa consommation exposerait à des risques considérables. Lawrence et Baker (2019) ont montré qu’une consommation élevée (plus de 4 portions par jour) d’aliment ultra transformé augmente le risque de mortalité de 62%, toutes causes confondues, comparativement à une consommation plus faible (moins de 2 portions par jour).

Au regard de ce qui précède, il ressort une ambiguïté notoire quant à l’acceptabilité de la viande in vitro, particulièrement au Québec. Le problème ici vient du fait que face aux multiples avantages et inconvénients qui sont présentés, et en tenant compte de leurs caractéristiques individuelles, il est difficile de prédire si ce produit sera accepté par les consommateurs. À l’aide d’une approche psycho-expérimentale, notre projet de recherche vise à comprendre spécifiquement les déterminants psychologiques qui conditionnent d’une part, la façon dont les consommateurs sont amenés à transiger entre leurs différents critères de choix et d’autre part, les facteurs ou leviers susceptibles d’expliquer leur acceptabilité de la viande in vitro. Parmi ces facteurs, nous verrons si l’aversion au risque est déterminante. La théorie des perspectives de Tversky et Kahneman (1992) sera utilisée pour classer les participants suivant leur attitude face au risque, et une échelle de néophobie technologique permettra de mesurer leur attitude face aux nouvelles technologies. Les répondants devront choisir entre des situations de gains ou de perte, pondérées par leurs probabilités respectives.

Du point de vue de la connaissance du consommateur en matière de nutrition saine, notre projet vise à faire progresser la connaissance et la compréhension des dimensions et des déterminants de l’acceptabilité de la viande in vitro, afin notamment d’estimer la potentielle valeur de marché d’une telle innovation. L’acceptabilité sera mesurée par la volonté d’acheter, la disposition à payer et la volonté de consommer. Aussi, les résultats obtenus pourraient permettre aux pouvoirs publics canadiens de mieux encadrer le marché des viandes alternatives en général, et celui de la viande in vitro en particulier avec un regard axé sur les besoins réels des consommateurs.

Notre projet est financé par le centre Nutrition, Santé et Société (NUTRISS) de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF), et par le département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval.

 

Sylvain Djatio Tchoupou
Étudiant à la maîtrise en sciences de la consommation
Université Laval


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