La « consommation » des soins spirituels en milieu de santé chapitre 2 : CHSLD
Finir ses jours en centre d’hébergement de longue durée (CHSLD) n’est généralement pas un souhait que les gens portent et désirent réaliser. Se sentir et se voir vieillir n’est pas un sentiment facile à accepter. Ça l’est encore moins lorsqu’on vieillit avec une maladie qui nous fait perdre la mémoire et nos repères. C’est difficile pour la personne malade, mais aussi pour ses proches. Habituellement le projet de fin de vie que nous envisageons est de terminer nos jours paisiblement dans la quiétude, la sérénité et la santé.
Dans l’article qui suit, nous regarderons quel est le type de « consommateur », qui habite les centres de soins de longue durée, quelles sont les approches à privilégier auprès de ces usagers, et enfin de quelle manière les intervenants en soins spirituels travaillent avec ces « consommateurs ».
Tout d’abord, au cours des dernières années, il y a eu une hausse fulgurante de l’évolution des types de clientèle en CHSLD. Pour bien comprendre le caractère de la clientèle que l’on retrouve en CHSLD, voici quelques données statistiques.
Il existe plus de 25 pathologies distinctes qui peuvent être à la base des troubles neurocognitifs. La plus courante est la maladie d’Alzheimer. Les autres types de pathologies régulièrement citées sont : les troubles neurocognitifs vasculaires majeurs, la dégénérescence fronto-temporale et la maladie à corps de Lewy.
En janvier 2024, un peu plus de 730 000 personnes au Canada étaient aux prises avec une maladie neurocognitive. Il est estimé qu’en 2030 un peu plus de 1 million de personnes pourraient être atteintes de ce type de maladie. Ce pourcentage de la population ayant un diagnostic de trouble neurocognitif pourrait grimper à 65%. Enfin, on évalue qu’aux alentours de 2050, la population canadienne pourrait compter plus de 1,7 million de personnes vivant avec des troubles neurocognitifs. Finalement, à cause de l’augmentation du vieillissement de la population, l’Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique et l’Alberta seront les provinces les plus touchées par cette réalité1.
Suite à cette brève explication sur le type de clientèle retrouvée en CHSLD, il faut mentionner qu’environ 10% de ces centres accueillent des personnes étant âgées de moins de 65 ans et présentant des déficiences physiques, intellectuelles, des maladies dégénératives ou des troubles de santé mentale. À cela peut s’ajouter, des personnes en évaluation, en transition ou en répit.
Examinons maintenant quelles sont les approches à privilégier pour bien soutenir ces personnes atteintes de troubles neurocognitifs. Premièrement il est important de garder un lien avec la personne atteinte d’un trouble neurocognitif. Ce lien permettra de conserver la confiance que la personne malade a envers vous. Ce lien peut se faire ou se poursuivre de différente manière. On peut utiliser la musique, des objets spécifiques vers lesquels elle porte un intérêt particulier ou qui ont marqué des passages importants, marquants de sa vie: son mariage, sa famille, ses amis, son travail, etc. Tout ce qui lui rappelle de bons moments de son existence, qui la gardera vivante et contribuera à maintenir un lien important entre vous.
En second lieu, il est recommandé de respecter l’émotion vécue par la personne et d’entrer dans l’histoire qui est présentement active dans l’esprit de celle-ci lors de votre visite. La validation et le respect de l’émotion sont importants pour les personnes atteintes de troubles neurocognitifs pour que celles-ci se sentent accueillies, entendues et non jugées. Comme les personnes atteintes de troubles neurocognitifs sont souvent dans l’incapacité de nommer ce qu’elles sont en train de vivre, il est important de porter une attention particulière au langage corporel qui démontre souvent des signes de colère, de fatigue, de tristesse ou d’inconforts. L’approche à prioriser est d’avoir un ton de voix calme, chaleureux qui n’infantilise pas la personne. Une des approches intéressantes et essentielles correspond aux contacts physiques faits de manière respectueuse, puisque ceux-ci les gardent connectés à la réalité et leur donnent le sentiment d’être encore aimés malgré la maladie.
Enfin, la personne atteinte d’un trouble neurocognitif se sent souvent triste, seule, impuissante, dévalorisée et même abandonnée. Elle l’exprimera parfois par son désir de vouloir mourir. Il est nécessaire de le prendre en compte, d’entendre ce cri de désespoir. Quand cette situation apparaît, il est conseillé de lui dire des paroles encourageantes, valorisantes et aimantes. De plus, avoir des gestes doux, apaisants envers elle peut aider à atténuer ce désir de mourir.
En dernier lieu, voyons quel travail effectue l’intervenant en soins spirituels auprès de cette clientèle. En contexte d’hébergement, l’intervenant en soins spirituels estime qu’il est primordial de soutenir le résident dès son entrée en CHSLD et de prendre en compte l’importance du prolongement de son histoire de vie afin que celle-ci soit reconnue à travers la contribution qu’il a apportée à la société et qu’ainsi soit préservé sa dignité, malgré les déficiences qui l’affectent. Pour établir le portrait global qui a façonné l’histoire du résident. L’intervenant en soins spirituels recueille les informations auprès de la personne malade et valide le tout auprès de ses proches, ce qui permet un accompagnement ajusté à la personnalité du résident.
Afin de bien rendre le service aux « consommateurs », l’intervenant en soins spirituels adopte différentes approches pour favoriser l’émergence de moments réconfortants et aider à l’expression de son vécu actuel. Pour soutenir la quête de sens et ouvrir à une dimension plus grande, une des approches utilisées est l’accompagnement sensori-mémoriel. Cette manière d’accompagner se base sur la biographie spirituelle des résidents et permet de rejoindre la clientèle où les mots n’ont plus de sens, que la communication est quasi-impossible et permet de raviver la flamme intérieure des résidents pour ainsi conserver l’espoir encore vivante. Les méthodes utilisées sont en lien avec certains sens soit l’odorat, le touché, l’ouïe et la vue.2 Les sensations permettent à la personne de se sentir vivante à travers des expériences gratifiantes qui soulignent son vécu. Les images significatives, la lecture de textes inspirants, la musique marquante de son époque et les odeurs représentatives de son histoire de vie sont quelques instruments sensoriels permettant l’émergence d’expériences qui favorisent le contact avec le sacré et la beauté intérieure. Ces expériences suscitent divers sentiments de réconforts et de paix puis soulignent la dignité et la valeur personnelle du résident, quelle que soit la maladie dans laquelle il est enfermé. En plus des accompagnements individuels diversifiés, les intervenants en soins spirituels offrent différentes activités de groupe qui favorisent le sentiment d’intégration et d’appartenance à la vie du CHSLD et permettent de sortir les résidents de leur solitude en les mettant en lien avec leurs pairs.
Dans son travail, l’intervenant en soins spirituels doit bien connaître les résidents de son milieu afin de les accompagner jusqu’à la fin de leur vie. Il est un des acteurs témoins du dernier chapitre de la vie des résidents. Il est celui qui tente de faire une différence et donner un sens à l’insensé de ces pensées qui semblent figées dans le temps. Il le fait par une présence signifiante, l’écoute, l’accueil, sans jugement de la personne malade. Il est présent aux proches pour qui l’impuissance, la culpabilité, la colère, l’incompréhension et le désengagement sont fort présents. L’intervenant en soins spirituels est là pour nommer ces sentiments et les nombreux deuils qu’ils ont à traverser chaque jour.
Enfin, l’intervenant en soins spirituels offre des rituels variés, représentant la vie de la personne. Ces rituels de fin de vie ou de décès sont un moment intime et précieux de partage, de reconnaissance qui souligne la vie de la personne malade ou décédée. Cet espace-temps est un dernier instant d’intimité qui permet l’expression de la gratitude, de souvenirs marquants, de diverses émotions et qui permet de se sentir connecté à la personne. Cet espace-temps permet également de trouver du réconfort, de l’apaisement et prépare la période de deuil.
En conclusion, sachez que la présence et l’amour sincère sont les trésors les plus précieux. Les personnes atteintes de troubles neurocognitifs majeurs ont une valeur et une dignité fondamentales sans prix. Je vous laisse sur ces quelques mots : « Ne me demande pas de me rappeler, n’essaie pas de me faire comprendre, laisse-moi me reposer. Fais-moi savoir que tu es avec moi, embrasse mon cou et tiens ma main. Je suis triste, malade et perdu. Tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin de toi. Ne perds pas patience avec moi, ne sacre pas, ne crie pas, ne pleure pas, je n’y peux rien de ce qui m’arrive. Même, si j’essaie d’être différent, je n’y arrive pas. Rappelle-toi que j’ai besoin de toi, que le meilleur de moi est parti. N’abandonne pas, reste à mes côtés. Aide-moi, jusqu’à la fin de ma vie.» 3
Soins spirituels CHU de Québec :https://www.chudequebec.ca/patient/maladies-soins-et-services/m-informer-sur-les-soins-et-services/soins-spirituels.aspx
Paradigme d’accompagnement spirituel en hébergement : centre de spiritualité Santé de la capitale nationale, Chu de Québec-Université Laval, 20217
Revue Spiritualitésanté : https://www.chudequebec.ca/a-propos-de-nous/publications/revues-en-ligne/spiritualite-sante/accueil.aspx
Société Alzheimer du Canada :https://alzheimer.ca/
Christine Cloutier
Christine Cloutier est intervenante en soins spirituels depuis plus de 17 ans dans les milieux hospitaliers au sein du CGU de Québec Université Laval. Elle a travaillé dans différents milieux tel que la pédiatrie, la réadaptation, la courte durée, l'hébergement et la santé mentale. Madame Cloutier a travaillé sur le paradigme d'accompagnement de la personne en hébergement et est coordonnatrice professionnelle depuis 3 ans. Elle a également travaillé en remplacement comme agente de planification au programme recherche et comme agente de développement de la profession. Elle a, en avril 2023, représenté le Centre Spiritualité Santé et le CHU de Québec Université Laval au congrès RESSPIR en Belgique en présentant une affiche expliquant l'évolution et la professionnalisation de la profession des intervenants en soins spirituels au Québec. Enfin, elle participe activement à une recherche qui permettra le développement d'un modèle d'accompagnement des personnes en hébergement atteintes de troubles neurocognitifs importants soit l'approche sensori-mémorielle.
- Sauf indication contraire, les données recueillies ici proviennent principalement du Rapport 1 de l’Étude phare : Les troubles neurocognitifs au Canada : quelle direction à l’avenir? Publié par la Société Alzheimer du Canada en 2022 et du Rapport 2 de l’Étude phare : Les multiples facettes des troubles neurocognitifs au Canada publié en 2024. Ces deux rapports ont été pensés et rédigés par Joshua Armstrong, chercheur à la Société Alzheimer du Canada.
- Il est à noter ici que le sens du goûter n’est pas utilisé dans cette approche, puisque plusieurs résidents en centre d’hébergement sont aux prises avec un trouble de dysphagie. La dysphagie, ou le trouble de la déglutition, est une difficulté ou une incapacité à avaler. La personne éprouve des difficultés à faire passer des liquides (salive, eau ou breuvages) ou des solides (aliments ou médicaments) de la bouche vers l’estomac. La dysphagie (ou trouble de la déglutition) | OOAQ
- Poème intitulé Demande d’un malade Alzheimer, auteur inconnu.